La plus grande innovation ? Réinventer notre relation avec la nature

La plus grande innovation ? Réinventer notre relation avec la nature

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Par Son Excellence la Dre Shaikha Salem Al Dhaheri, Secrétaire générale de l’Agence pour l’environnement – Abou Dhabi et Conseillère de l’UICN pour la région Asie occidentale

Alors que les experts de la nature et de l’environnement se préparent à se réunir à Abou Dhabi pour le Congrès mondial de la nature de l’UICN, une vérité s’impose : nous ne pouvons pas résoudre la crise climatique sans résoudre la crise de la nature. Et nous ne pouvons pas résoudre la crise de la nature sans repenser en profendeur la manière dont nous valorisons, finançons et innovons avec le monde naturel. 

Environment Agency - Abu Dhabi

Nous vivons une urgence planétaire. Depuis 1970, les populations mondiales d’animaux sauvages ont chuté de 69 %, et un million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction. Le Forum économique mondial estime que plus de la moitié du PIB mondial – soit 44 000 milliards de dollars – dépend modérément ou fortement, de la nature (1). Et pourtant, les écosystèmes continuent d’être traités comme de simples décors au service de l’ambition humaine : des paysages à admirer, mais rarement à soutenir par des investissements.

Cela doit changer. Et c’est en train de changer. 

 

L’innovation : la nouvelle alliée de la nature

Au sein du vaste réseau de membres et de partenaires de l’UICN, l’innovation redéfinit la conservation bien au-delà des sanctions et des barrières. Au Kenya, des aires de conservation dirigées par les communautés, sous l’égide du Northern Rangelands Trust, ont combiné des patrouilles anti-braconnage, une gouvernance locale et de nouveaux systèmes de suivi de la faune – réduisant considérablement le braconnage des éléphants tout en générant des sources de revenus durables.

Aux Émirats arabes unis, nous avons intégré l’intelligence artificielle et les technologies de pointe dans notre stratégie nationale de conservation. Des initiatives comme la plateforme Nabat utilisent des drones équipés d’intelligence artificielle (IA) pour restaurer les mangroves (2), tandis que Jaywun, un navire de recherche ultramoderne, est équipé de plateformes de données en temps réel et de capteurs marins fonctionnant grâce à l’IA (3). Jaywun joue un rôle clé dans le suivi des stocks halieutiques, la cartographie des récifs coralliens et la collecte de données océanographiques utilisées dans des modèles prédictifs pour la conservation.

Le Programme de surveillance de la faune sauvage automatise l’analyse des données issues de pièges photographiques dans les réserves, et le suivi environnemental basé sur l’IA appuie les évaluations de la qualité de l’air et des sols. Ces efforts s’inscrivent dans le cadre de la Stratégie nationale d’IA 2031 des Émirats arabes unis, qui encourage l’adoption de l’IA dans des secteurs clés, dont la durabilité environnementale (4).

Pendant ce temps, dans le Pacifique, des communautés autochtones utilisent la blockchain pour tracer et commercialiser du thon pêché de manière durable, garantissant que les bénéfices retournent à la gestion locale.

Ce ne sont pas des gadgets. Ce sont des bouées de sauvetage. Elles montrent que la conservation d’aujourd’hui repose sur les données, le design et la disruption – en alliant technologie de pointe et savoir ancestraux. 

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La nature : la prochaine classe d’actifs

L’argument financier est tout aussi convaincant. Selon le rapport des Nations Unies sur l’état du financement de la nature, inverser la perte de biodiversité nécessiterait 700 milliards de dollars par an. Aujourd’hui, la majeure partie du financement en faveur de la nature provient des gouvernements, et seulement 17 % du secteur privé. Il ne s’agit pas simplement d’un déficit de financement — c’est un défi structurel pour les marchés.

Mais la tendance s’inverse. En 2023, la première police d’assurance au monde pour les récifs coralliens a versé une indemnisation pour restaurer le récif mésoaméricain après le passage d’un ouragan, reconnaissant ainsi les récifs comme des infrastructures naturelles qui protègent les côtes. En 2024, les Émirats arabes unis ont lancé leur premier sukuk vert souverain, directement lié à la restauration des mangroves — alliant principes de la finance islamique et responsabilité écologique.

À l’échelle mondiale, les crédits biodiversité, les obligations basées sur la nature et les nouveaux cadres comptables comme le Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) transforment la manière dont les marchés perçoivent les risques et les opportunités liés aux écosystèmes (5).

La nature n’est plus seulement un centre de coûts : elle devient un moteur de valeur. Les investisseurs prennent conscience que la perte de biodiversité constitue un risque financier systémique. 

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Un nouveau contrat social avec la nature

Cependant, l’innovation et le capital ne suffisent pas. Nous avons besoin d’un nouveau contrat social avec la nature — fondé sur l’équité, guidé par les savoirs autochtones et mis en œuvre par les communautés locales.

Aux Émirats arabes unis, nous intégrons cette vision dans chacune de nos actions. De la réintroduction de l’oryx à cornes en forme de sabre au Tchad au soutien des coopératives de conservation dirigées par des femmes à Al Dhafra, nous démontrons que la restauration écologique et la justice sociale vont de pair. C’est une stratégie essentielle, car les écosystèmes les plus résilients sont ceux gérés par les populations qui en dépendent.

Au Mexique, le programme « Sembrando Vida » emploie plus de 420 000 agriculteurs pour restaurer des terres dégradées, constituant l’un des plus vastes efforts de restauration socio-écologique au monde. Ces initiatives rappellent que protéger la nature, c’est aussi préserver les moyens de subsistance et les cultures. 

 

Le gradualisme est notre défi

Soyons clairs : il n’y a plus de temps pour les demi-mesures. Le Congrès de l’UICN doit marquer un tournant décisif. Nous avons besoin que les gouvernements intègrent le capital naturel dans les systèmes nationaux de comptabilité et dans les stratégies climatiques. Nous avons besoin que les entreprises mesurent et atténuent leurs impacts sur la biodiversité. Les institutions financières doivent aligner leurs portefeuilles sur des résultats positifs pour la nature. Les citoyens doivent exiger que la nature soit traitée comme une infrastructure, et non comme un simple décor.

Le coût de l’inaction est bien plus élevé que celui de l’innovation. 

 

L’engagement des Émirats arabes unis — et un impératif mondial

En tant qu’hôtes du Congrès de cette année, les Émirats arabes unis sont fiers d’accueillir les experts mondiaux de la nature. Nous développons les marchés du carbone bleu, faisons progresser les technologies et forgeons des partenariats qui relient la science, les politiques et le capital. Nous sommes résolument engagés à accélérer nos initiatives environnementales et de conservation.

Car, au fond, l’innovation la plus prometteuse n’est pas une nouvelle application ou un nouvel algorithme. C’est un nouvel état d’esprit : un regard qui ne voit plus la nature comme quelque chose à sauver, mais comme une partenaire à respecter et comme le socle de la prospérité humaine.

Et c’est ce futur que nous devons bâtir ensemble. 

 

[1] Source: World Economic Forum

[2] Source: TII

[3] Source: ADMO

[4] Source: UAE National AI Strategy

[5] Source: TNFD